Une « future » filière industrielle?
Lorsqu’on lit le communiqué de presse du géant Procter&Gamble ($65B de C.A quand même!) qui annonce une bouteille fabriquée avec du plastique des Océans pour ses produits d’entretien de maison, on se dit qu’enfin, on va nettoyer les Océans de façon industrielle! Mais en y regardant de plus près, cette bouteille n’est constitué que de 10% de plastique Océan et cela ne concerne qu’un seul produit (lave vaisselle).
350M de tonnes de plastiques produits en 2019 dans le monde, qui créent 240M de tonnes de déchets. De toutes sortes: monomères, polymères, multi ou mono couches, souples ou rigides, colorés ou translucides, PET/PVC/ etc…Il y en a partout dans notre quotidien et les supprimer totalement aujourd’hui est un combat perdu d’avance pour le consommateur. Sur ces 240M de tonnes de déchets, entre 8 et 10M de tonnes finissent dans les Océans par an. On estime à 150M de tonnes de plastiques stockés dans les Océans aujourd’hui.
Ca veut dire quoi 150M de tonnes? Ca veut dire qu’à minima la moitié des poissons sauvages ont du plastique dans leurs entrailles, ca veut dire qu’en allant chez votre poissonier, vous avez 1 chance sur 2 d’ingurgiter du plastique!!
Les engagements actuels (politiques, industriels, associations) ne sont pas à la hauteur de l’enjeu: ils ne permettront qu’une diminution de 7% des rejets en 2040 avec près de 30M de tonnes rejetés, par an, à la mer en 2040.
Comme dans tout système complexe, la solution n’est pas unique. Il est nécessaire de mettre en oeuvre dès maintenant un ensemble d’actions fortes pour réussir à réduire cette pollution qui va tuer la vie dans les Océans, et donc sur terre.
- Réduction de l’utilisation des plastiques: Nous connaissons tous des exemples où le plastique est sur-utilisé: sur-packaging, sacs à volonté, récipients jetables,…Différentes études montrent que l’on pourrait réduire de 30% cette utilisation.
- Substitution aux plastiques: le papier et autres matières compostables peuvent réduire les plastiques de 17%, sans augmenter le coût du packaging.
- Améliorer la collecte et le traitements: les zones de collectes sont encore mal maîtrisées et laissent « fuir » beaucoup de plastiques. Dans les 10M de tonnes de déchets plastiques Océans, 61% proviennent d’une absence de collecte et 39% proviennent de fuites après la collecte.
- Recyclage des plastiques: seulement 20% des plastiques sont recyclés aujourd’hui, car le recyclage reste coûteux. Il est possible d’augmenter à 54% le recyclage des plastiques avec quelques modifications simples et rendre la filière recyclage plus rentable. Par exemple supprimer les pigments colorés dans les plastiques augmenterait la valeur du plastic recyclé de 25%.
Une superbe étude de systemIQ démontre qu’en lançant ces plusieurs axes de travail simultanément, nous pourrions diminuer de 80% les déchets déversés dans les Océans en 2040.
Mais qui peut croire qu’il y ait un consensus politique mondial au même moment pour agir, réguler, légiférer sur les plastiques? Personne! Mais si cette pollution devenait une opportunité de business, si le recyclage devenait rentable voire très rentable, si les investisseurs intégraient le SDG14 dans leurs due-diligence, alors les industriels pourraient devenir les leaders pour la protection des Océans sans attendre les gouvernements ?
Faire du business avec les déchets plastiques?
La Collecte
Veolia réalise un chiffre d’affaires de $200M en 2017 avec les plastiques recyclés et annonce un objectif de $1B pour 2025. Et investit dans la tech (intelligence artificielle) pour y arriver!
Paprec, leader en France pour le recyclage, annonce 12M de tonnes de déchets recyclés mais seulement 300 000 tonnes de plastiques recyclés (à peine 3%!).
La collecte est encore trop coûteuse pour beaucoup de pays, et diminue sensiblement la rentabilité de la filière recyclage. Dans les pays développés, les collectivités prennent à leur charge (en fait, les habitants par le biais des impôts locaux) les coûts de collecte. Mais si ceux-ci sont ré-intégrés dans la finance globale du recyclage, celle-ci est en perte de $293 par tonnes. Dans les pays à faible PIB, les récoltes de plastiques sont surtout du PET et HDPE, qui ont un prix de vente supérieur. Mixé avec un coût de main d’oeuvre inférieur, le recyclage devient rentable à $51 de résultat net pour 1t de plastique recyclé.
La Transformation
Un peu plus loin de chez nous, au Québec, on ne peut qu’être enthousiaste sur la société Loop Industrie, côtée au Nasdaq depuis 2017. Loop a mis au point un procédé industriel de recyclage pour le PET, qui consomme moins d’énergie et qui produit un plastic recyclé aux mêmes propriétés que le plastic neuf: même pureté, même propriété physico-chimique. Et ceci de façon infinie. L’innovation semble résider dans leur capacité à recycler des plastiques pollués non facilement recyclable aujourd’hui: plastiques colorés, thermoformés, tapis, vêtements… Cette capacité à avaler presque n’importe quel plastique, devrait augmenter le recyclage des plastiques Océans. Loop licencie sa technologie aux grands groupes industriels. En France, ils ont signé des accords de partenariat avec L’Oréal, Suez et l’Occitane. Compte tenu du stress du marché du plastique recyclé et de la demande des consommateurs, on ne peut que s’attendre à une envolée de la valeur de leur stock en bourse!
Nous avons pris l’exemple de Loop industries car ils ont signé des accords significatifs avec des entrepises du CAC 40 mais il y a d’autres sociétés sur le même roadmap comme la société Envision Plastics.
Citons encore deux entreprises Européenne de référence dans le recyclage des plastiques, il s’agit du groupe Italien Aquafil qui produit du nylon écologique (Econyl) à partir de gros déchets comme les filets de pêche ou les tapis. Aquafil est centré commercialement sur le prêt-à-porter et sur les matériaux d’intérieur.
Plus spécifiquement dédié au recyclage des plastiques pêchés dans l’Océan, la société Danoise Pack Tech a lancé le projet « Ocean Waste Plastic » en 2013. Ils utilisent ces déchets Océans pour réaliser du packaging primaire. Leur objectif est de repêcher 4 000 tonnes de plastiques Océans en 2020 pour leur packaging. Cela reste évidemment modeste par rapport aux millions de tonnes déversées dans les Océans, mais l’intérêt réside dans leur volonté de mettre en place une filière industrielle complète, du déchets jusqu’au produit fini.
La certification SEAQUAL
Enfin, l’association espagnole SEAQUAL, a développé une sorte de norme/certification pour valider les process industriels qui fabriquent de la fibre en matière plastique recyclée et dont la communication est centré sur le nettoyage des Océans. Mais, compte tenu de la difficulté de recyclage des plastiques Océans, leur cahier des charges n’impose que 10% de plastiques Océans. Ils ont malgré tout réussi à faire de leur « marque » une référence avec plus de 530 sociétés, de 46 pays, certifiées SEAQUAL. La dépollution reste assez modeste face aux enjeux: 600 t de plastiques Océans retirés!
Et les start-up?
Les start-up ont pour habitude de vouloir changer le monde, n’est-ce pas? Et bien, voilà un beau sujet pour elles: supprimer le plastique dans les Océans! Nous avons déjà évoqué dans un précédent blog, les incubateurs d’investisseurs pour favoriser l’éclosion de start-up Océans. En France, on peut noter une vague d’entrepreneurs qui sont en aval de la chaîne des plastiques recyclés. La plupart cherchent à créer des marques dans le prêt-à-porter. Citons parmi tant d’autres:
- Momem dont les premiers produits, des maillots de bains, ont remporté un franc succès.
- Hopaal, start-up de la côte Basque qui développe une gamme assez large de vêtements homme-femme,
- Corail, qui fabrique des sneaker avec des bouteilles plastiques repêchées en Méditerranée
- Awake Concept, qui fabrique des montres dont le bracelet est en filet de pêche.
- Ou encore un peu plus anecdotique, Adaoz Wave, qui fabrique des ailerons de surf et paddle en plastic recyclé. Même si cela ne va pas « changer le monde », cela participe à la sensibilisation et à la filière.
Enfin, nous ne pouvons passer sous silence le formidable travail que réalise la start-up 4ocean, qui a déjà repêché près de 5M de tonnes de plastiques en Asie et dans les caraibes en 6 ans, tout ceci à la main!! C’est, de loin, la société qui a récolté le plus gros volume de plastiques des Océans, en transformant les pêcheurs de poisson en pêcheurs de plastiques.
Ressources Bibliographiques
Une des premières fondations à mettre en avant l’économie circulaire est celle de Ellen Mc Arthur. Cette fondation crée en 2010 par la célèbre navigatrice a acquis ses lettres de noblesse et est devenu une référence dans ce domaine avec une équipe forte de 127 collaborateurs et des partenaires industriels et publics à travers le monde. Les études et travaux de cette fondation sont très riches et peuvent êtrte librement consultés ici.
Conclusion
La demande en plastiques recyclés croit indéniablement, qu’ils proviennent des Océans ou des Continents. Des groupes industriels développent des process innovants pour y répondre, et une filière se met en place. Cette demande augmente la valeur de cette matière qui devient une matière première, mais du coup, rend le plastique neuf moins cher avec le prix du pétrole qui diminue. Ces labels « recycled plastic » ou « seaqual certified » seront-ils suffisamment valorisés par les départements marketing des marques pour compenser ce surcoût?
Mc Kinsey prévoit que la demande en plastique continuera de croître mais que 60% sera du plastique recyclé.
Ceci dit, nous n’avons pas encore la solution idéale et rapide pour éliminer les rejets de plastiques dans l’Océan, à défaut de les dépolluer complètement. La pollution terrestre continuera à polluer les Océans et il faudra certainement s’habituer à voir disparaître des espèces animales tuées par les plastiques et à manger du plastiques ingérés par les poissons sauvages. Peut-être que les poissons issus de l’aquaculture biologique pourront être préservés de cette pollution grâce à de nouvelles technologies de filets et de filtration.
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